• Concepts et problématiques

    Concepts et problématiques : quelques défintions...

     

    Qu’est-ce qu’un concept ?

     « La philosophie est la discipline qui consiste à créer des concepts »

     

    Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie ?

       Concept : Un concept est un mot qui a été inventé par un auteur pour répondre à une problématique précise. Un concept est donc un terme qui a fait l’objet d’un travail philosophique précis afin de répondre à un problème qui s’est posé à la pensée d’un auteur.

     Pourquoi inventer de nouveaux mots ?

     Car ceux qui existent déjà ne répondent pas aux interrogations d’une pensée nouvelle. Pour inventer un concept, le philosophe se réfère au mot déjà existant et en précise ou en retravaille le sens ou bien il décide de former un mot nouveau à partir des possibilités qu’il trouve dans le langage (qu’il enrichit par-là même). Les concepts peuvent être soit des mots courants, dont l’auteur a précisé le sens, soit des mots nouveaux inventés pour les besoins d’une pensée nouvelle.

     Exemple : Dans son livre les Pensées, le philosophe Blaise Pascal base son analyse de la condition humaine sur le divertissement. Le mot divertissement devient un concept au moment où il reçoit une fonction et une signification spécifique à l’intérieur de sa pensée. On voit ici que pour définir ce qu’est un concept chez un philosophe il faut se référer à l’ensemble de sa pensée et à la problématique qui est la sienne. La distinction entre le sens courant et le sens philosophique (quand on dit : selon le sens philosophique du mot…) est donc une absurdité parce qu’il n’y a pas un sens philosophique mais plusieurs. Il existe autant de sens philosophiques qu’il y a de philosophies ou de philosophes. Les philosophes déterminent à la fois leurs problèmes et les outils à partir desquels ils entrevoient de les penser. Les philosophes n’écrivant pas des dictionnaires, c’est dans l’ensemble de leurs textes (ce qu’on appelle le corpus des textes) que l’on pourra découvrir le sens du concept en le renvoyant aux autres concepts importants qu’il sous-tend.

     Chaque philosophe est un monde, chaque philosophie un univers (en grec « cosmos ») : toute pensée est comparable à une constellation de concepts (les idées) ou à un univers conceptuel. Réussir à comprendre la pensée d’un auteur c’est parvenir à faire le lien entre des idées différentes associées par l’auteur que nous n’avons pas l’habitude de lier ensemble et qui semblent dissociées dans la réalité. Ces nouveaux rapports nous donnent une nouvelle représentation du monde (et qu’est-ce qu’un monde si ce n’est un ensemble de rapports : un écosystème ?) encore non portée à l’expression. Penser c’est donc faire des liens, établir des rapports. Com-prendre c’est réussir à tenir ou à prendre ensemble une multiplicité de phénomènes divers. D’ailleurs ne dit-on pas lorsque nous ne comprenons pas quelque chose : je ne vois pas le rapport, je n’arrive pas à faire les liens.

     La philosophie comme création artistique : une philosophie est toujours une com-position il faut poser ensemble des éléments différents mais attention ensuite il faut les faire tenir. Il faut que le composé ou la composition (la créature ou la création) soit viable. Il ne s’agit donc pas de faire des rapprochements sans aucune forme de nécessité. Pas d’associations d’idées libres, il faut renoncer au surréalisme et la cure psychanalytique. Il y a par contre à l’évidence ici un usage musical de la pensée : raisonner c’est mettre les choses en résonance et produire une nouvelle harmonie.

     Philosopher c’est organiser des rencontres : Ce qui est très beau c’est que la philosophie, la pensée, tout comme l’individu (ou les lieux en général) sont des lieux de rencontres où se lient des choses qui semblaient ne jamais devoir se rencontrer, se font et se défont des mondes. On dirait de la poésie, rappelez-vous Rimbaud : “Elle est retrouvée / Quoi ? L'Eternité / C'est la mer allée avec le soleil  » (l’éternité, la mer et le soleil se rencontrent à la faveur d’une belle métaphore). Pour entrer dans le monde d’un auteur tirez un concept et l’ensemble de la constellation vient. Le concept est cette porte, de cet univers de représentation il offre l’entrée.

     Jeu : Faire une cartographie des pensées étudiées, dessiner des constellations philosophiques en faisant des étoiles les concepts et en les reliant par des lignes qui sont les rapports qu’elles entretiennent entre elles.  

     

      Le rapport du concept à la problématique :

       Un concept est un mot qui a reçu une signification précise par rapport à une problématique. Chaque concept renvoie à un champ de pensée, c’est-à-dire à l’ensemble de la pensée d’un auteur, ensemble dans lequel il reçoit son sens et sa fonction. Dans la discussion quotidienne nous employons non seulement des mots selon un sens vague et général mais il arrive la plupart du temps que nous ne sachions pas exactement de quel problème nous débattons. Ainsi les médias nous présentent d’interminables débats basés sur des problèmes qui ne posent pas problème. La difficulté qui se pose à l’origine de toute pensée est de ne pas se baser sur de faux problèmes qui nous mèneraient à de faux débats. En philosophie ce n’est pas tant la réponse qui va compter que la pertinence du problème. Le problème lui-même doit donc être inventé.

     
      Qu’est-ce qu’une problématique ?

     

    Problématique : La problématique est ce qui pose problème dans une question. Le bavardage consiste à discuter sans même savoir ce qui pose problème. La problématisation est cet effort pour étudier à la fois les conditions de possibilité du sujet et ses enjeux réels. La problématique c’est donc l’angle ou le point de vue spécifique que l’on choisit afin d’aborder un sujet. Tout le travail consiste à formuler clairement le problème qui est le nôtre et à montrer au lecteur quels sont les moyens (les arguments) qui nous permettent de le traiter. S’il y a autant de problématiques qu’il y a de regards il n’en reste pas moins qu’il est aussi difficile d’avoir une problématique claire et singulière que de porter sur le monde un regard neuf. Nous pourrions tenter pour nous orienter un peu dans l’immensité des questions qui se posent à nous de dégager quelques grands types de problématiques philosophiques qui sont les différents angles d’analyse possibles pour aborder un sujet :


     Ethique : Le domaine de la morale

     Esthétique : Le domaine de l’art

     Métaphysique : Les questions liées au Sens

     Politique : Le domaine du « Vivre ensemble »

     Epistémologie : Les problèmes liés aux sciences

     

     

    Pour voir apparaître les différentes facettes et les différents enjeux d’un sujet nous pouvons le poser selon ces différentes perspectives et voir comment il évolue (tout en faisant ensuite attention à ne pas faire de la dissertation un catalogue des différents points de vue possibles simplement juxtaposés ). Il faut faire voyager le sujet sur ces différents champs problématiques (le déterritorialiser) pour voir s’il ne prend pas une couleur, une tonalité différente et pour découvrir avec de nouvelles perspectives de nouvelles postures de regards (ou points de vue). 

    Penser par soi-même : Etre créateur de sa propre pensée c’est alors faire œuvre de traducteur ou d’interprète[1] (d’intercesseur). Il faut pour cela avoir renoncé à croire au génie qui invente tout à partir de rien pour préférer devenir beaucoup plus humblement un travailleur qui toujours reprend ce qui existe déjà, s’insère dans un flux, pour le transformer et y introduire une différence. « Il n’y pas un grand écrivain qui ne soit un grand lecteur » disait Gilles Deleuze dans son Abécédaire de la philosophie. Chaque homme qui pense retrouve sur son chemin l’histoire, la géographie, la langue et la culture (…) l’ensemble des pensées qui l’ont précédé et ont fait l’histoire des idées (ce patrimoine mondial qui n’appartient à personne mais à chacun). Des pensées des autres il fait les siennes et il en fait d’autres, il reprend et il déplace à nouveau ce qu’on croyait établi, il l’amène ailleurs et des rencontres naissent de nouvelles possibilités de vie, il maintient en vie et fait vivre en lui l’histoire et le langage qui sans cela pourraient se figer et disparaître. Interpréter ce n’est pas répéter, même si comme nous l’apprend le musicien il faut avoir beaucoup répété pour interpréter à sa façon, mais c’est voir dans le monde une partition in-déchiffrée, un ensemble de signes qui nous appellent auxquels nous devenons de plus en plus sensible à mesure que le monde nous parle un peu plus. Chaque nouvelle interprétation invente cette partition comme pour la première fois. Penser alors à nouveau c’est défaire, faire et refaire le monde, être en même temps et tour à tour artiste et citoyen.      

     


    [1] « Le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur » Marcel Proust, Le temps retrouvé p.197 Folio

     


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